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CULTURE & CIE

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CULTURE CIE & VOUS

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13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 12:01


Le 19 juin 2008, les éditions J’ai Lu fêteront leur cinquante ans. Voilà une belle occasion de célébrer et d’affirmer la singularité du catalogue poche de Flammarion. Depuis toujours, J’ai Lu se targue d’être la plus féminine des maisons d’édition. Qu’à cela ne tienne ! Après
10 auteurs, 10 nouvelles qui fêtaient les 10 ans de la collection « Nouvelle génération », la publication anniversaire se la joue 100% femme avec le recueil Onze femmes, onze nouvelles inédites dont les écrits s’articulent autour de l’identité féminine.

Elles sont onze. Onze femmes d’âges, de sensibilités et d’origines différentes. Onze plumes surtout. Femmes avant tout, épouses, mères ou femmes d’affaires, elles sont journalistes - en presse écrite ou en télé – écrivaines, éditrices ou portent toutes les casquettes à la fois… globe trotter traductrice, musicienne ou encore comédienne, onze femmes s’attaquent avec leurs armes au thème, certes classique mais fatalement insaisissable, de l’identité féminine, et plus précisément de la place du corps dans la féminité. « Etre une femme aujourd’hui, est-ce seulement avoir un corps de femme ? », leur a-t-on demandé. Aux auteurs ensuite de plancher sur la question, et de livrer une nouvelle. Au final apparaissent onze regards hétéroclites et tranchés. Ici rien d’uniformisé, de cadré, de lissé. Cette diversité de points de vue, de récits et de perceptions de la femme fait la force de ce recueil, dans lequel les écrivains ont su s’affranchir de l’aspect complexe du sujet initial pour ne conserver que l’essence de la féminité. Ou plutôt d’une certaine féminité.

« On ne naît pas femme, on le devient. » avait écrit de Beauvoir dans son Deuxième sexe en 1949. Réplique usée à force d’être citée, elle n’en reste pas moins d’actualité, et quelque soit l’époque. Mais qu’est-ce donc que « devenir » femme ? Tel est le débat, ou l’énigme. Être femme, n’est-ce qu’une affaire d’attributs sexuels identifiables, dont l’apparition affirme « l’état » de femme ? N’est-ce qu’une « notion » régie, codée par la biologie, la société, l’histoire, la politique ou le regard des hommes, comme l’affirmait le féminisme classique ? Ou bien est-ce une relation intime, un rapport à soi et à son corps, comme tendent à le confirmer les dernières enquêtes sociologiques d’Alain Touraine ? S’agit-il d’une identité qui se construit à travers le regard d’autrui, et de l’homme en particulier ? Est-ce un apprentissage, une appropriation, un assujettissement ou une simple acceptation d’un fait inné ? De Badinter à Fraser en passant par Fouque, les théories ne manquent pas. Que l’on soit d’accord avec les unes ou avec les autres, il semblerait que l’identité profonde de la femme ne se dessine que par touches, versatiles, éphémères et sans cesse démenties par une autre conception : conception d’un autre temps, d’une autre discipline ou d’une autre… femme ! Il semblerait que cette identité se dessine par des expériences vécues ou retranscrites,  précisant sans cesse de nouvelles zones d’ombre. Face à cet imbroglio, Onze femmes, onze nouvelles inédites répond avec la même complexité, multiplicité des approches oblige : les auteurs sont toutes des femmes, et elles ne le vivent pas ou ne le conçoivent pas de la même manière. Pas de panique cependant, l’éventail des propositions et des nuances n’a rien d’un assemblage brouillon des théories des figures féministes ! Sans vouloir faire entrer la féminité dans des cases étriquées ni dans une définition figée, toutes ces nouvelles racontent la femme, les femmes.

A une question dense et subtile, potentiellement pesante, nos onze auteurs répondent par des portraits de femmes attachantes, fragiles ou déterminées, nous plongeant instantanément dans onze univers singuliers, onze styles aussi. Les visages prennent corps et les corps s’évaporent quelquefois d’avoir été trop exposés. Les onze personnages centraux s’avèrent terriblement humains, dans leurs forces comme dans leurs failles et autres attentes, espoirs ou rôles. Pas question dans ces récits de philosophie ou de morale, pas de discours normatifs sur ce qu’est ou ce que devrait être une femme. Simplement des regards de femmes sur des femmes. Aucune des onze figures n’est plus pertinente qu’une autre ; elles sont toutes, à leur manière, la plus authentique.

Pas d’ennui à l’horizon dans ce recueil dans lequel aucune histoire ne ressemble à une autre. Pourtant il y a bien des aspects que ces nouvelles partagent : les protagonistes sont évidemment toutes des femmes et sont toujours liées à un autre personnage, souvent un homme, son regard ou son fantôme. Chaque écrivain a pris ses aises, en appelant à l’amour, à l’envie, à la jalousie, au plaisir, à la mort, à la filiation mais aussi à la violence, au manque, à la peur, au désenchantement, à l’abandon ou à l’oubli... Les nouvelles sont tour à tour impudiques, poétiques ou dérangeantes. Certaines sont pleines d’humour ou de tendresse, d’autres crues parfois mais toujours touchantes. Que les héroïnes se révèlent fragiles, drôles ou sûres d’elles, manipulatrices, légères, perdues ou frondeuses, il transparaît toujours en filigrane une quête d’elles-mêmes, malgré les airs qu’elles se donnent de ne pas s’en préoccuper.

Autre similitude : pour parler de la femme – comme de n’importe quoi d’autre ! - il faut la confronter à quelqu’un, à un regard, à un autre. Chez Yasmina Jaafar, Jessica Nelson et Stéphanie Polack il s’agit de mettre une femme face à un homme ; Audrey Diwan et Camille de Peretti mettent deux femmes face à face ; Brigitte Giraud confronte une petite fille à un petit garçon tandis que Catherine Castro, Olivia Elkaim et Anna Rozen placent simplement une femme face à la société. Enfin Anne Plantagenet et Tania de Montaigne choisissent de faire pencher leur femme sur le corps d’une autre, absente ou morte. Alors nos héroïnes sont observatrices, nos narratrices font de la comparaison et de l’opposition l’étalon d’une couleur féminine, car il faut bien figer un instant la féminité, à travers le corps ou pas. Chacun des deux personnages d’un duo révèle l’autre, et de ces couples unis ou désaccordés ressort donc une image de la femme : c’est dans la relation au monde, aux autres, hommes ou femmes, inconnus et proches, que naissent les contours, certes flous, des individualités féminines. Mais n’est-ce pas ainsi que sont nées toutes les définitions humaines, du temps de Platon, de Rabelais ou de Weber ? Autrement dit les femmes se trouvent ou se cherchent comme n’importe quel homme de l’Histoire : l’homme se révélait animal politique dans sa rencontre avec la cité, il se révélait sujet dans sa rencontre avec la société, voilà maintenant la femme dans ce mouvement réflexif. Son identité prend ses contours à travers tout ce qu’elle combine : une femme est face à tous les autres, avec elle-même et dans une société. Et si nos femmes se racontent, la trame narrative n’exclut en rien l’intrusion dans ces couples de spectres du passé, des souvenirs d’un amant ou d’une mère, d’une sœur, d’une blessure ou d’un désir d’exister, de prendre corps et sens...

Mentions spéciales pour le texte d’Anna Rozen qui ne manque pas d’humour ni de fraîcheur ; pour la nouvelle de Jessica L. Nelson dont le choix narratif célèbre les contradictions de son héroïne ; enfin pour la chute de Catherine Castro, qui revient dans son texte sur les dictats d’une société qui a une dent contre le corps des femmes.

Extraits choisis…

« Mon corps m’encombre, j’ai décidé de le vendre sur e-bay. Finalement, un corps qu’on trimballe depuis trop d’années c’est comme les livres qu’on a déjà lus, les vêtements qu’on a plus envie de porter, les DVD qu’on a assez regardés, les CD qu’on connaît par cœur et tout ce fatras qui prend beaucoup de place pour pas grand-chose. » Anna Rozen.

« Cher Monsieur, je ne suis pas une fille facile : mon cœur a la profondeur d’un puits dans lequel je trébuche souvent, ce qui ne m’empêche pas d’y replonger avec délectation lorsque mes vêtements sont à nouveau secs. Je n’ai pas l’intention de m’en défendre, tout ce qui suit et qui choquera, autant vous prévenir que je l’assume ». Jessica L. Nelson.

« Tout ce que je sais de Lola, c’est qu’elle danse seule devant sa glace. Elle aime se regarder danser, même si ce n’est pas parfait. Ca ne le sera jamais. L’appartement est propre et bien rangé. Avec de gros coussins dorés sur le canapé et des napperons en dentelle sous les porcelaines du buffet. La glace est grande, Lola sourit et virevolte, ondule. Tout ce que je sais de Lola, elle ne me l’a pas dit, je l’ai deviné. ». Camille de Peretti.

A noter…

11 nouvelles inédites
Catherine Castro, Audrey Diwan, Olivia Elkaim, Brigitte Giraud, Yasmina Jaafar, Tania de Montaigne, Jessica L. Nelson, Camille de Peretti, Stéphanie Polack, Anne Plantagenet, Anna Rozen.

En librairie le 16 mai 2008
Aux éditions J’ai Lu
192 pages
10 euros

Deux particularités : le format poche a ici été revu à la hausse : 14,4 cm x 18,1cm et le recueil comporte un double portrait des auteurs réalisé par Olivier Roller. Un regard masculin sur l’identité corporelle féminine.


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1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 23:10

Pour fêter ses 10 ans, la collection « Nouvelle Génération » des éditions « J'ai Lu », celle qui a eu l’impertinence de proposer, au format poche, les premiers romans de Michel Houellebecq, Virginie Despentes, Vincent Ravalec ou Éric Holder, s’offre aujourd’hui un recueil de 10 nouvelles inédites écrites pour l’occasion par 10 auteurs emblématiques de son catalogue : Zeller, Ann Scott, Arnaud Cathrine, Thomas Lélu et quelques autres se sont prêtés au jeu. Ils ont repris la première phrase de leur premier roman et ils en ont fait autre chose, juste quelques pages pour nous donner de leurs nouvelles… des nouvelles de la jeune génération littéraire. « Preuve, s’il en fallait, que la jeune littérature n’a pas dit son dernier mot. »

« 10 ans 10 auteurs 10 nouvelles », c’est une idée judicieuse, une formidable occasion de retrouver les auteurs que nous aimons déjà et de découvrir ceux que nous ne connaissons pas encore. Car il y en a, souvent, sans doute dans tous les rayons anonymes et les bibliothèques personnelles, des auteurs contemporains dont on reconnaît les noms sans encore les avoir lus, des premiers romans à côté desquels on est passé, des talents qu’on a mis du temps à rencontrer. Alors, c’est vrai, « il était temps de prendre des nouvelles de ces premiers romans qui, chacun dans leur style, ont bousculé le roman français. »

On a aimé des textes en particulier bien sûr, la justesse avec laquelle Zeller raconte l’engrenage de la paranoïa, les détails cinématographiques d’Ann Scott qui nous piège avec brio dans une narration bien menée, la manière dont Jaenada endosse son fantôme, la manière dont Valérie Mréjen nous propulse dans la folie et l’évidence de l’enfance.

On a aimé les clins d’œil aux premiers romans que nous avions dévorés, ces premiers romans qui ont su propulser des écrivains au devant de la scène littéraire, mais on a surtout aimé ce paradoxe ramassé en un recueil : la « nouvelle génération » littéraire est ambiguë, et elle a su s’amuser de ses travers, de ses « papiers », de sa personnalité. Nicolas Rey ne masque pas ses personnages sous de faux noms, ils « sont bel et bien vivants. Ils possèdent une date de naissance, des grains de beauté et vont tous mourir un jour. Ils sont évidemment dépressifs. Ils ont des problèmes sentimentaux, ils sont nombrilistes, ils dorment mal, ils ont parfois des abcès dentaires, des prix littéraires et des problèmes de dos. » Ce qu’on a aimé, c’est croiser dans un même livres Serge Joncour raconté par Nicolas Rey et rencontrer Samuel S. avec Arnaud Cathrine.

Ce dernier nous propulse dans une interview dont il fait un univers, traquant la pudeur et l’impudeur des écrivains, dessinant à distance les recettes d’un succès contemporain : deux écrivains se rencontrent, l’un à l’aube de sa carrière, l’autre au seuil de son parcours. « Votre pudeur, Damien. Pardonnez-moi, je remets le couvert. Vous faites partie d’une espèce rare, vous en êtes conscient n’est-ce pas ? Mauvais point. L’impudeur réussit bien mieux aux artistes. Je sais ce que vous me direz : porter un bout de soi en place publique, quelle chose curieuse… On a tendance à l’oublier. Je veux dire : on ne sait pas ce que c’est, les incidences que ça a. Nous vivons sous dictature des « livres témoignages » et autres récits de personnalités venues se justifier ou se glorifier de je ne sais quel fait d’armes… alors ça nous paraît normal et on ne sait plus quels sont les effets de l’impudeur. »

Oui, la nouvelle génération est impudique. Impudique quand elle raconte le prix des magnums, impudique quand elle est pornographique, impudique quand elle intitule un texte « Jeanne Mas a fait caca dans un champ » ! Et pourtant l’impudeur est diffuse, un catalogue de soi ne dit rien de personne, et puisque les mots ne choquent plus personne, l’impudeur… est-ce qu’elle existe encore ? Oui, sans doute, ne serait-ce parce que c’est impudique d’écrire, même sans se raconter, c’est fou et impudique, plus encore parfois quand on ne se livre que par le style, mais il faut bien livrer ses mots, l’éditeur les attend, reste à écrire donc, sans forcément pouvoir choisir si les mots nous livrent, ou nous cachent.

Alors ces dix nouvelles s’amusent et jouent de leur commande, jouant avec une première phrase comme le jeu met à distance la porte de son contour. 13 ans après, 10 ans après, un écrivain est toujours lui-même et pourtant il a eu le temps de montrer qu’il est aussi un autre, une autre. Ainsi l’auteur de « Superstars », loin de son asphyxie et de ses héroïnes, endosse un nouvel acteur du pire des mondes, un acteur anonyme, l’inconnu que l’on croise, dans les rues ou en sortant du supermarché. L’inconnu que l’on ne voit pas et qu’on ne veut pas voir, le clochard, l’incarnation de nos peurs et de nos réalités.

Oui, la littérature contemporaine est narcissique, elle se masque derrière l’authenticité des gens et des situations mais qui nous dit qu’elle n’invente rien ? C’est la nouvelle génération de lecteurs qui retrouvera ici sa littérature sans frontières et, au-delà d’elle, l’univers commun dont se nourrissent les anonymes et les auteurs : la littérature d’aujourd’hui, c’est un rapport sur soi qui raconte une histoire, un rapport à soi qui s’essaye à l’agonie des autres et évidemment, c’est un monde barré qui n’en adore pas moins les premières phrases, demande de l’éditeur oblige. 13 ans après, 10 ans après, des siècles après, les livres continuent d’inventer la vérité, d’endosser pour de faux des personnages vrais ou de se projeter dans des univers fantastiques ou fantasmatiques. Reste qu’ « Une interview de Samuel S. » dresse un formidable portrait de la littérature contemporaine - dans lequel on devine aisément un soutien à Marie Darieussecq dans le procès que lui a lancé notre pourtant très aimée Camille Laurens - et en racontant une histoire !

L’ironie, et l’évidence, c’est de retrouver dans un même livre « Le Soleil noir de Nikki Beach » de Simon Liberati et les réflexions tranchantes d’Arnaud Cathrine. Car à côté du  parisianisme russo-tropézien pseudo sociologique et du n’importe quoi de Lélu qui dit combien la confession fictive peut être vide, il y a l’expérience limite de Grégoire Bouiller et la finesse du verbe de Zeller, les plans de Scott et l’innocente folie de Valérie Mréjen. C’est « tout ça » la nouvelle génération, mais c’est peut-être tout simplement « tout ce bordel » dont parle Klapisch dans son « Auberge espagnole », « tout ce bordel » qui fait que la littérature reste fidèle à elle-même, par delà les temps et les espaces : d’une madeleine à une première gorgée de bière, il y a un monde et pourtant, rien n’a vraiment changé, les mots ne sont qu’un médium bourré de possibles. Rien n’a vraiment changé si ce n’est qu’aujourd’hui, on peut faire un catalogue de soi jusqu’aux détails les plus intimes, un catalogue qui ne raconte rien et qui porte « caca » dans son titre. Alors quand on demande à la nouvelle génération de se projeter en arrière pour raconter autre chose, il y a toujours, en filigrane, un regard sur l’écriture qui ancre ce livre dans ce que les philosophes appelleraient "le monde de l'oeuvre", et dans ce que le monde d’aujourd’hui appelle la culture pop. A lire donc, pour le plaisir des histoires et pour l'histoire d'un portrait, celle d'une "nouvelle" génération.

A noter…

10 nouvelles inédites
Grégoire Bouillier, Arnaud Cathrine, Philippe Jaenada, Thomas Lélu, Simon Liberati, Valérie Mrejen, Vincent Ravalec, Nicolas Rey, Ann Scott, Florian Zeller

En librairie le 11 mars
Aux Editions J’ai lu
Collection « Nouvelle génération »
160 pages
6 euros

Lien Amazon

Dédicace des 10 auteurs le 24 juin 2008 à la Fnac Montparnasse


Ann Scott sur CultureCie…














Thomas Lélu sur CultureCie...


Thomas-lelu-brabantia.jpgcopie_de_lelu_ihatework.jpgDominiue-Fiat-dec-2007.jpg









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28 avril 2008 1 28 /04 /avril /2008 17:25

Raphaëlle a tout pour être heureuse: un peu trop de diplômes, un peu trop d'argent, un peu trop d'insouciance... un peu trop d'ennui. Sur les bons conseils de papa, elle trouve, comme tous les étés, un job qui, peut-être, ramènera cette éternelle étudiante à la réalité. En effet, "si elle avait eu un peu d'intuition", elle ne serait sans doute pas rentrée dans cette boutique. Et pourtant... Pourtant "Mariage 2000" annonce une vraie rencontre avec le réel, à commencer par une rencontre avec quelqu'un. Une certaine Lola, une fille qui est l'exact opposé de la narratrice. Raphaëlle n'a rien vu, rien vécu. Elle a trop de confort mais pas assez de rêves, trop de diplômes mais pas assez d'ambition, trop de lassitude mais pas assez d'imagination. Lola, elle, a vu et vécu trop tôt. Le confort, elle en rêve; les diplômes, elle n’en a pas besoin. Quant à l'ambition... c'est une question d'imagination!

L'histoire? Aucune importance! Anecdotique cette histoire, bien menée, mais superflue. Un superflu que l'on pourrait dire sans surprise car, évidemment, on attend bien une entourloupe de cette Lola, un secret bien gardé, bien dévoilé aussi. Un mensonge brutal, qui n'a de romanesque que le mal qu'il fait aux autres. Un mensonge évident, tranchant comme une trahison amoureuse, auquel tout le monde s'attend à l'exception du naïf aveugle, une naïve en l'occurrence, cette parfaite anti-héroïne qui aura soudain des choses à raconter... Aucune importance cette histoire donc, ce qui importe c’est un regard, un état, le monde intérieur de cette jeune femme qui n’avait rien pour plaire et qui, pourtant, est si bien racontée qu’elle en est attachante.

Parfois, Audrey Diwan ne raconte rien, mais pourtant on ne s'ennuie pas. Le regard est juste, le ton faussement détaché. L'écriture est fluide, la lecture agréable. On lit ce livre le sourire en coin, et on éclate de rire de temps en temps, devant des phrases naturellement incisives, qui disent la vérité, comme ça, sans en avoir l'air, sans insister dessus trop longtemps. On ne pensait pas pouvoir s'attacher à cette Raphaëlle, à cette gamine déphasée qui n'a pris de l'argent que l'ennui dans lequel il la laisse. Pourtant, loin de la provocation et des paillettes de Lolita Pille, loin de la légère gravité d'une Sagan, Audrey Diwan invente un personnage qui est à vif autrement, un premier roman lucide sans provocation. Un premier roman dans lequel il y a l'envie de vivre et de disparaître, les angoisses de l'ennui et une tristesse sans larmes... Un premier roman réussi: on attend les autres non sans impatience!

Extraits choisis...

« Les confidences me faisaient peur. Aussitôt livrées, elles devenaient des armes bactériologiques qui pouvaient à tout instant, dès que le vent tournait, vous exploser à la gueule. Je voulais pas qu’on m’inocule un jour le virus de ma propre existence, qu’on me jette au visage mes pauvres secrets. J’avais construit autour de moi une carapace anti-choc, une bulle de verre qui me protégeait parfaitement des autres et m’enfermait, dommage collatéral, dans une solitude à l’épreuve des balles. J’étais coincée, la plupart du temps, en ma propre compagnie, torture que je ne souhaitais même pas à mon pire ennemi. » (p.47)


« J’étais diagnostiquée inapte au plaisir. Un mal d’autant plus incurable que personne n’avait envie d’en identifier la cause tant elle était injuste. Mes parents étaient trop coupables d’avoir trop voulu mon bien. Mes madeleines à moi n’avaient aucun goût et parfois je me disais que c’était con d’avoir tout eu au point de ne rien regretter. (…) Pourtant, je n’avais pas arrêté de croire en silence que le jour où se pointerait une véritable catastrophe, je serais la fille à la hauteur, celle qui sauverait la situation à la force de son frêle poignet de nantie inactive. J’avais même rêvé la ruine de mes parents, juste comme ça, pour voir. » (p.62)


« Je n’arrivais pas à y croire. La tristesse existait d’un bloc. Une douleur vide. Rien à droite, rien à gauche. Rien pour se divertir. Une punition comme on n’en faisait plus. Mais c’était passionnant cette douleur au milieu de soi, comme un objet d’une inquiétante étrangeté, comme une greffe dont on n’en pouvait plus d’attendre le rejet. J’avais des larmes sans eau, d’autant plus dangereuses qu’elles ne sortaient pas, qu’aucun jaillissement ne mettait jamais fin à l’envie de pleurer. Le pire au final, c’étaient ces larmes intérieures, celles qui n’abîment pas le visage mais qui dévastent tout au-dedans. Une inondation secrète, qui pourrissait lentement les fondations, faisait moisir les espoirs. » (p.138)

La presse en parle...


« La Fabrication d’un mensonge est un premier roman aussi drôle que désabusé, et Audrey Diwan fait preuve d’un véritable sens du rythme et de la formule (extra)lucide ! » - Le Monde des Livres


« Audrey Diwan est, d’évidence, aussi douée pour la fabrication d’un roman bien torché que pour celle de ce péché dit capital, mais tellement utile.

Son écriture procède de la même efficacité et témoigne d’un précieux talent à concilier un style simple et direct avec l’image juste, futée, souvent drôle et empreinte d’une jeunesse de ton qui se refuse à tous les clichés bêtas du jeunisme. » - Le Vif/L’Express


A noter...

En poche le 9 avril 2008

En librairie le 5 janvier 2007
Editions Flammarion
15 euros
Lien Amazon


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24 avril 2008 4 24 /04 /avril /2008 00:11

Présentation de "l'éditeur"...

J'ai écrit le livre, j'ai dessiné la couverture et maintenant mon éditeur me demande de rédiger moi-même les prières d'insérer.
Le dilettante ? T'as raison...
Mon éditeur que je viens d'appeler à l'instant pour lui demander si on disait «un» ou «une» prière d'insérer et qui m'avoue qu'il ne sait pas. Que personne n'a jamais su. Bon, je sens que les pointillés du contrat, je vais les remplir toute seule aussi...
Je suis donc allée vérifier dans un dictionnaire et voilà ce que j'ai trouvé :
Faire ses prières. S'emploie, surtout à l'impératif, comme formule de menace pour inciter à se préparer à la mort, à une sévère punition.
C'est vrai ?
C'est ça, le genre de ce mot quand on l'emploie au pluriel ?
Gloups. Qu'est-ce que je fais là ?
Heureusement, la suite :
Equivalent noble de «Numéroter ses abattis».
Voilà qui m'inspire plus. Les miens ou ceux de mes personnages ? À l'heure où j'écris ces mots, ils n'existent pas encore et je ne suis guère plus vaillante... Mais retournons la bidoche et numérotons donc, numérotons ce qui bouge encore...

Charles Balanda, 47 ans, architecte à Paris, apprend incidemment la mort d'une femme qu'il a connue quand il était enfant, et adolescent.
« Il déchire la lettre et la jette dans la poubelle de la cuisine. Quand il relève son pied de la pédale et que le couvercle retombe, clac, il a l’impression d’avoir refermé, à temps, une espèce de boîte de Pandore, et, puisqu’il est devant l’évier, s’asperge le visage en gémissant.
Retourne ensuite vers les autres. Vers la vie. Se sent mieux déjà. Allez... C’est fini.
C'est fini, tu comprends ?»
Le problème, c'est que non, il ne comprend pas. Et il n'y retourne pas, vers la vie. Il perd l’appétit, le sommeil, abandonne plans et projets et va essayer de comprendre pourquoi tour se fissure en lui; Et autour de lui. Commence alors un long travail de deuil au bout duquel il est obligé de se rendre à l’évidence : l’échelle de cette vie-ci est illisible et il faut tout rebâtir.» A.G.

La critique...

Architecte reconnu, homme brillant et généreux, Charles est marié à une divine femme dont il adore la fille adolescente, qu’il a élevée depuis ses trois ans, mais… il n’a pas le « temps »  de se poser trop de questions.


Une simple lettre adressée chez ses parents déclenchera en cascade des souvenirs refoulés, des envies oubliées, des secrets jamais avoués, des révolutions intérieures et des explosions.
Un héros séduisant, une ambiance attirante, une histoire atypique mais tellement possible font de ce livre un très, très joli roman. On s’y croirait, on voudrait y être, dans ce tableau de famille peint avec humour et poésie ! L’amour, l’amitié, la réussite, les enfants, les parents, les animaux, tous y sont décrits, chéris et malmenés à la fois.

Anna Gavalda écrit bien, trop bien peut-être pour qu’on lui pardonne d’oublier l’usage des pronoms personnels. Le style télégraphique pour imager la routine peut être fort déplaisant mais il est certainement « une signature » à laquelle elle tient.

Après ses nouvelles, après le magnifique «  Je l’aimais » et « Ensemble, c’est tout », voici une œuvre rare de presque six cent pages dont on souhaiterait un autre tome à peine celui-ci refermé.


Extraits choisis…

« S’assit au bord du lit et se sentit gros.
Lourd plutôt. Lourd.
Anouk….s’allongea-t-il en soupirant, Anouk…
Qu’aurait-elle pensé de lui, aujourd’hui ? Qu’aurait-elle reconnu de lui ? Et ce département là… C’était quoi, déjà ? Que faisait Alexis si loin ? Et pourquoi ne lui avait-il pas envoyé un vrai faire-part ? Une enveloppe à liseré gris. Une date plus précise. Un lieu. Des noms de gens. Pourquoi ? C’était quoi ? Une punition ? De la cruauté ? Une simple information, ma mère est morte, ou un ultime crachat, et tu n’en aurais rien su si je n’avais eu l’immense bonté d’âme de dépenser quelques centimes d’euros pour te l’annoncer… » (page 73)

« Etais-je jaloux ? Oui.
Non.
J’avais appris à les reconnaître, ces regards, à force, et ne les craignais plus. Il me suffisait de vieillir et je m’y employais. Jour après jour. J’étais confiant.
Et puis ce que je savais d’elle, ce qu’elle m’avait donné, ce qui m’appartenait, eux, tous les autres, ils ne l’auraient jamais. Pour eux, elle changeait sa voix, parlait trop vite, riait trop fort, mais avec moi, non, elle restait normale.
Donc c’était moi qu’elle aimait. » (page 170)

«  Pendant le dernier kilomètre, dans un Paris où l’air était «  assez bon «  selon l’indice du jour, réalisa qu’il avait effectué tout le trajet aller obsédé par la mort et celui du retour stupéfait par la vie.
Un visage s’était superposé à un autre et cette même lettre qui reliait leurs deux  prénoms finit par l’ébranler tout à fait.
Les modes d’emploi ne servaient à rien, le destin, à l’oreille du moins, était un cas. » (page 492).

A noter...

Anna Gavalda
"La Consolante"
Sortie le 11 mars 2008
Chez La Dilettante
640 pages
24,50 euros
Lien Fnac.com
Lien Amazon



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14 avril 2008 1 14 /04 /avril /2008 00:10

Avec « Place Rouge », l’Académicien Dominique Fernandez signe un nouveau livre sur la Russie. L’auteur du « Dictionnaire amoureux de la Russie » (2004) nous déçoit : l’amour pour un pays, son intime connaissance, les bonnes intentions et la sympathie de l’écrivain à l’égard des « pauvres gens » ne suffisent décidément pas à écrire un bon roman.

C’est l’histoire d’amour plus qu’invraisemblable entre deux artistes homosexuels, dont la quête d’une passion absolue exclut d’avance toute issue heureuse, qui nous semble être la principale faiblesse du roman. Cet amour impossible fascine le narrateur au point de lui faire totalement oublier ses recherches biographiques. Ce sont pourtant elles qui l’ont poussé à entreprendre ce voyage, d’ailleurs financé par son éditeur trop confiant (ou trop généreux). Mais le narrateur restant encore le personnage le plus crédible de ce livre, on lui pardonne très vite ses égarements, d’autant plus que la passion entre ses deux amis gays n’a en effet rien d’ordinaire.

Il y a là les portraits dont on tombe amoureux du premier regard, les couteaux qu’en bon Russe, on plante sans raison dans la paume de l’être aimé, les soupçons infondés, les gestes inexpliqués et les monologues hystériques. Cependant, appliquée à l’histoire de deux homosexuels d’aujourd’hui, cette panoplie dostoïevskienne produit un effet comique sans doute non voulu par l’auteur. Qu’il ne soit pas surpris d’entendre son lecteur partager son désespoir : « Comprendras-tu jamais rien aux mystères de l’amour russe ? » … et s’il ne s’agissait encore que de l’amour... Car tout sonne faux dans ce mélodrame mélangeant les mièvreries à une rhétorique pompeuse qui voudrait déchiffrer l’âme de tout un peuple : les discussions entre les artistes « engagés » et ceux qui vendent leur talent aux « bourgeois », les condamnations grandiloquentes de l’art pour l’art, les Moscovites qui s’expriment en un français impeccable et très élaboré (mais en ignorant les articles !), sans parler des personnages purement caricaturaux comme cette vieille femme de ménage amoureuse de Jean Marais… On y trouve aussi quelques imprécisions fâcheuses, telle la mention de la première traduction russe de « Lolita » parue, selon l’auteur, en 2005, ou encore les vieux-croyants qui se signent de trois doigts (?).

Que reste-t-il alors d’un livre au titre aussi ambitieux? Certes, la grande culture de Dominique Fernandez, son regard curieux et bienveillant, ses tentatives presque touchantes de réanimer certains cadavres que les Russes d’aujourd’hui préfèrent laisser reposer en paix, tels Gorki, Repine ou Levitan. Au final, il est fort dommage que l’auteur occulte une particularité importante de cette fameuse « intransigeance russe » qui semble l’épater : elle s’applique évidemment au domaine des sentiments… mais aussi à celui de l’écriture.

A noter ?

« Place Rouge » de Dominique Fernandez
Chez Grasset & Fasquelle
23 janvier 2008
384 pages
20,90 €

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10 avril 2008 4 10 /04 /avril /2008 21:33
Hélène Grimaud revient au devant de la scène littéraire avec ses « Leçons particulières »

Après ses fascinantes mémoires discrètes et intimes, « Variations sauvages », Hélène Grimaud revient au devant de la scène littéraire avec ses « Leçons particulières ». Un roman autobiographique, encore une fois, avec lequel la virtuose nous embarque dans sa retraite. Un voyage spirituel nourri de rencontres, de coups de têtes, de hasards et de réflexions dont on pourra, évidemment, tirer de jolies leçons de vie.


« Variations sauvages » était consacré à l’enfance, aux loups et évidemment à la musique. Si le piano et les loups ont encore leur place ici, c’est d’autre chose qu’il s’agit : d’une pause. Les railles de la virtuose internationale la perdent. Fatiguée, surmenée, l’ange blond devenu brun décide de s’octroyer une retraite. Oui, il faut partir. Partir d’ici, non pas pour fuir, mais évidemment pour se retrouver.

Nous voilà donc partis avec Hélène Grimaud sur les chemins sinueux de l’Europe, dans une curieuse aventure italienne. Repos, rencontres et découvertes opèrent comme par magie : la belle se reconstruit, lit les mots des uns comme un signe du destin et ceux des autres comme une leçon à retenir. Qui a dit que les plus grands n’avaient plus rien à apprendre ? Dans le gouffre du succès, même la musique et dans une certaine mesure le plaisir de l’exercer, avaient l’air de s’envoler. Alors il faut réapprendre, prendre du recul, chercher ce qu’il manque, ce qu’on a perdu ou ce qu’on n’a pas encore trouvé.

Il est des états où les mots n’ont pas les mêmes échos. C’est alors que les jardins se font révélation, tandis que les rencontres rappellent l’auteur à ses meilleurs souvenirs. Un professeur de français, sosie de son maître, trace peut-être pour elle le chemin à suivre, dans ces vacances hasardeuses faites d’improviste et de mots heureux.

Confessions sauvages, variations particulières, ce livre est hanté par l’amour des uns et la solitude de tous, hanté surtout par des questions existentielles fortes, et par une dimension spirituelle qui se fait rare, aujourd’hui, en littérature.
L’auteur croit au destin comme on croyait jadis en Dieu, et c’est sans doute cette dimension qui sort le lecteur contemporain de l’ordinaire. Embarquer avec Hélène Grimaud pour l’Italie, c’est faire face avec elle à ses fantômes et aux démons du succès. C'est prendre le temps avec elle de ne pas se laisser glisser, prendre le temps de retrouver cet amour fou qu'elle a pour la vie, ferveur contagieuse et ô combien agréable...

Hélène Grimaud est avant tout une interprète. Son livre nous invite, lui aussi, à interpréter. Comme les contes soufis ou certains passages bibliques, ces « Leçons particulières » ont une portée universelle. C’est un voyage, raconté, irréfléchi et pourtant ponctué de réflexions. A chaque lecteur de trouver ce qu’il sera bon pour lui d’interpréter.


A noter...

Hélène Grimaud
"Leçons particulières"

Octobre 2005
Février 2007 pour l'édition Poche
181 pages
Editeur : Pocket
Collection : Pocket
5,90 euros
Lien Amazon

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8 avril 2008 2 08 /04 /avril /2008 00:52

1918. Zelda a à peine dix sept ans. Elle est la belle et riche jeune fille du juge de Montgomery lorsqu’elle séduit Francis Scott Fitzgerald, lieutenant, futur grand écrivain, beau comme un astre et prince du roman qu’elle veut vivre avec lui.
   
Zelda est celle qui nourrit l’écrivain, elle ne vit pas, elle rend folle la vie. L’immense succès de « l’envers du paradis » de Fitzgerald les propulse dans un monde d’excès et de débauches dans lequel ils se plaisent et s’abîment
    
Leurs déchirures, leurs immenses personnalités a inspiré à Gilles Leroy un très beau roman. Zelda apparaît comme une muse mais aussi comme une femme d’une sensibilité extrême, douée d’un vrai sens de l’écriture, une artiste en soi. Elle est folle et aime sa folie, sa folie c’est son goujat de mari dont elle est prisonnière.
    
Une histoire incroyable tirée d’une incroyable histoire ! La Critique pour une fois ne s’y est pas trompée en lui attribuant le Goncourt 2007.


Extraits choisis…

«  Parfois l’excitation était si grande, elle bondissait dans mes veines, et je sentais les joues me cuire par un afflux de sang et de vie et de peur souterraine. Je valais quelque chose. Le cœur tambourinait à se rompre. La joie serait-elle douloureuse ? Quand je suis heureuse - si seulement il m’arrivait de l’être encore - ça fourmille  dans mes jambes, j’avale trop d’air, j’étouffe, mes yeux se voilent, il faut se rendre et rideau ! Je tombe.
J’aurais voulu vous le dire, docteur, mais je garde un peu de moi pour moi. » (page 54).
 
« Nous ne sommes pas tout à fait ordinaires, il faut croire. De m’avoir perdue m’a rendue soudain nécessaire. Scott faisait tout en romancier : après m’avoir punie, il a cherché à me changer.
Il a choisi les plus renommés des psychiatres. Ainsi restons-nous entre célébrités. »

«  Jalouse de Scott ? C’est si ridicule. «  Je ne suis pas jalouse, ai-je répondu. J’aurais voulu être  lui, une côte de sa poitrine, les lignes de sa main. Moi, figurez-vous, je me serais très bien passé du monde. Le seul enfant que je voulais de lui, c’était lui. (page 120).

A noter...

"Alabama Song" de Gilles Leroy
Aux Mercure de France (23 août 2007)
Collection Bleue

189 pages
15 euros

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15 mars 2008 6 15 /03 /mars /2008 16:55
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Fondé sur la véritable histoire de la première femme d'Orient à avoir publiquement refusé de porter le voile, 
"La Femme qui lisait trop" revient sur le XIXème siècle du cœur de la Perse des Qadjars. Tahereh était poétesse et sera étranglée pour avoir voulu vivre selon ses convictions et parler "cheveux au vent".

Téhéran, seconde moitié du XIXe siècle : la cour du shah fourmille d'intrigues de palais, complots et autres tentatives d'assassinat plus ou moins abouties, sous l'ironique et cruel regard de la mère du souverain persan... Voici que cette fois, pourtant, ce très ancien royaume va se trouver ébranlé non tant par les menées factieuses des uns ou des autres (menées qu'observe l'ambassadeur de Sa Royale Majesté la reine d'Angleterre) mais par l'irruption inattendue d'une poétesse fort lettrée dont, d'un bout à l'autre du territoire, les vers et les propos semblent agir sur quiconque en prend connaissance comme de puissants catalyseurs d'énergies "subversives" - voire "hérétiques" : entre ces deux adjectifs, que certains sont tentés de rendre synonymes, reste à savoir qui, de la poésie ou de la violence, va trancher...

A travers la figure historique de la poétesse Tahirih Qurratu'l-Ayn, à laquelle la postérité se montra si peu soucieuse de rendre justice, et qui osa, en femme libre et en exceptionnelle rhétoricienne, affronter au péril de sa vie les tenants du pouvoir tant séculier que théologique de son temps, 
Bahiyyih Nakhjavani met en scène les enjeux éternels - et plus incandescents que jamais aujourd'hui - de la liberté d'expression dès lors qu'elle s'affronte aux puissants comme aux dogmes religieux. Ecrit dans une langue étincelante, qui croise subtilement les fils de l'Histoire, de la religion, de l'art et la question de la condition féminine, ce roman propose, sur le mode d'une fiction historique, une réflexion d'une indéniable actualité. Une histoire qui n'est pas sans rappeler celle des courtisanes cultivées massacrées pendant l'Inquisition à Venise, et évidemment, plus proche de nous, le "Bas les voiles" de Chahdortt Djavann...

A noter...

Bahiyyih Nakhjavani est au Salon du Livre samedi 15 mars au stand Actes Sud de 15h à 19h.

"La Femme qui lisait trop"
Bahiyyih Nakhjavani
Date de parution :     28/09/2007
Chez Actes Sud
Collection   Romans Nouvelles Recits
Genre :  Littérature Moyen Orient
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27 février 2008 3 27 /02 /février /2008 02:45

Quatrième roman de Florian Zeller, « Julien Parme » rompt avec le ton habituel du petit prince de la scène littéraire française. Dans la peau de son héros de quatorze ans jusque dans les moindres recoins de style, Zeller nous fait rire aux éclats avec la crise existentielle la plus banale qui soit. Malgré son prix Interallié pour « La Fascination du pire », on était en attente depuis « Neiges artificielles » : nous voilà surpris et rassasiés.


« Moi, ce que j’aurais aimé, c’est vivre des aventures incroyables. »

Quatorze ans, cet âge totalement bâtard dans lequel personne ne vous comprend. L’âge qui oscille entre Picsou Magazine et Entrevue. L’âge où l’on a envie de boites de nuit sans y avoir droit, d’indépendance impossible, de rencontres improbables, et de sexe, évidemment. Peut-être même qu’on est tombé amoureux pour la première fois, à quatorze ans. Notre narrateur, lui, c’est un incompris. Vous comprenez, la vie, c’est pas facile, quand on n’a pas de père, que maman fait chier absolument pour tout, qu’en plus on a un beau-père donc une nouvelle sœur parachutée, que d’un coup, de fils unique on passe à pièce rapportée et dans le seizième mort en plus… on a envie d’être tranquille, on n’a jamais la paix, on vit pas pour autant de folles aventures, au contraire, et puis parfois on est triste. Et y’a toujours des lois qui vous rattrapent, les parents, ou pire, la loi tout court, le regard des autres aussi, parce qu’on est pas majeur, alors les gens ils vous réduisent souvent à pas grand-chose, surtout quand on est pas un mec grand.

Bon, jusque là, c’est classique vous allez me dire, c’est un môme d’aujourd’hui quoi. Oui, justement. Pas vraiment exceptionnel : pas question ici d’une adolescence à la vie d’adulte, Julien n’est pas de ces mômes cocaïnés et délaissés, pas du tout, c’est un ado tout ce qu’il y a de plus normal, enfin, il serait vexé Julien s’il nous entendait : il veut devenir écrivain. Ouais. Pas si normal, un peu exceptionnel quand même. Du coup bon, il ment un peu sur des trucs qui lui arrivent, parce que là, il est pas encore vraiment écrivain, c’est juste le temps où son imagination se développe, et le rêve, ben la seule manière qu’il rentre dans la réalité là, c’est de travestir un peu le vrai et de le raconter aux gens. Genre à son pote Marco, le mec « qui a vraiment trop de chance » parce qu’il habite seul dans une chambre de bonne. Ou à Madame Thomas, la prof de français supercanon aux chemisiers transparents et aux cours intéressants. Ou encore à un poivrot une nuit dans un bar, ben ouais, Julien a pas encore sa liberté mais il la prend déjà, attendez le mec, il a du cran. Du coup il se retrouve à raconter le meurtre de son père à un « mec jaune ». Le fric c’est pareil, il l’a pas mais il le prend, du coup c’est carrément des bouteilles de champagne qu’il commande. La classe. Mais celle à qui il aimerait vraiment parler, mais à laquelle il ne sait pas quoi dire parce qu’il est quand même vachement impressionné, elle s’appelle Mathilde : avec elle c’est différent, il est « à l’article de l’amour ».

Peut-être bien que vous hallucinerez quand il vous racontera ses histoires hyperincroyables, parce que oui, j’ai oublié de vous dire, c’est ça le sujet du livre : l’année dernière, il lui est arrivé un truc incroyable, c’est pour ça qu’il en parle. Attendez, il fait pas partie de ces écrivains qui noircissent des pages blanches alors qu’ils n’ont rien à raconter. Quel truc ? Ben nan je vais pas vous le dire, moi mon truc c’est de vous le faire lire, le livre, vous captez ? Parce que je vous le dis : « Julien Parme », c’est une balle de livre. « Sans déconner. »

« Et entre nous, t’écris franchement comme une merde. »

Florian Zeller parvient à faire d’un adolescent en crise quelqu’un d’autre qu’un cliché de boutonneux ou un révolté haineux. Est-ce que c’est parce qu’il veut devenir écrivain, que cet adolescent-là nous réconcilierait presque avec ces âges ? Oui, peut-être. On est loin du ton des « Quinze ans » de Philippe Labro, mais pourtant on y pense, on y repense, à ces rêves de mômes et aux premiers signes, aux premières envies, aux premières entrées du rêve dans le réel. C’est frustrant d’avoir quatorze ans, les ambitions sont souvent enfermées dans le ridicule à cet âge là, ce qui rend d’autant plus timide. Mais ce qui le rend vraiment humain, Julien, c’est pas forcément cette éventualité exceptionnelle : écrivain, il ne l’est pas encore, et même s’il l’était déjà, avant de l’être, il serait, il est un adolescent.

Alors écrivain ou pas, avec ou sans père, Julien est un ado banal : il a encore des rêves de gosse, qu’il compte bien réaliser, et il a déjà une histoire, de vrais emmerdements dont il parle d’ailleurs assez peu. Il n’est pas à l’abri de la vie, il est… comme les autres. En choisissant un héros qui subit essentiellement son âge, loin des enfances du « Rendez-vous » de Justine Lévy, de « Hell » de Lolita ou des « Premières pressions à froid» de Cyrille Putman, Zeller rend d’autant mieux à César – et à Don Quichotte – ce qui lui appartient : la crise d’un adolescent au fond, c’est la crise d’un type qui veut devenir quelqu’un, et qui n’a pas encore l’âge. Alors il ne sait pas tout à fait qui il est, et entre ses certitudes, ses envies d’envol et le regard paralysant des autres, il cherche à réduire un peu le fossé, et le problème, c’est qu’il risque de tomber dedans…

Avec la malice d’un style qu’on ne lui connaissait pas, Florian Zeller vogue de la tendresse à la mélancolie en passant par l’amour et la violence. Il sait très bien jouer à l’adolescent. A ce môme terrorisé par son image, à la fois perdu et sûr de lui, qui s’engouffre avec fracas dans la honte alors qu’il est à la recherche absolue du contraire : une identité rayonnante, évidemment. Le môme se fait des films, a des préoccupations et des angoisses « de son âge » mais il se raconte sans distance, alors il transmet ses impressions profondes avec son vocabulaire, et parsème quelques fulgurances : on est pris au jeu, peut-être bien que le petit Parme pourrait devenir écrivain, on lui souhaite d’ailleurs, sa revanche, son devenir, jusqu’au Quai Parme à Paris. Des confessions enfantines - quand il était petit, il voulait être prince -, une tendresse poignante pour une vieille dame ou un petit poussin, les premiers signes amoureux, la jalousie à l’égard du mec cool, le vol, la fuite, la solitude, la honte, la peur, la haine… tout y est. Mais l’essentiel c’est l’humour, l’écriture tranchante qui passe du rire aux larmes, de la distance à la perte, une écriture simple, drôle et parfaitement maîtrisée qui donne à ce livre une identité rare.

A travers les vides et les débordements de sa crise si bien racontée, on se rappelle qu’une crise d’adolescence au fond, c’est une crise existentielle comme une autre, le problème, c’est que celle-là, on ne la prend jamais au sérieux. Après « Julien Parme » on regardera peut-être les ados différemment. Zeller les rend vraiment moins cons et plus humains… trop humains. Alors d’un coup elle nous paraît moins loin, cette crise. Et d’ailleurs, à la lecture de cet excellent roman, les ados pourraient se sentir moins seuls, ou avoir l’idée d’écrire… un jour.


Extraits choisis…

« Tout le monde avait essayé de se faire inviter à cet anniversaire. Si vous étiez en seconde, comme moi, il fallait mieux oublier. C’est normal, en un sens. Mais Marco, lui, il avait réussi. Sérieux. L’explication, c’est qu’il avait redoublé déjà deux cent douze fois et qu’il avait environ presque le même âge qu’Emilie Fermat. La preuve, il lui faisait la bise à la sortie du lycée. La plupart des gens, c’était le genre de truc qui les impressionnait. Moi, ça me laissait de marbre. Parce que je m’en foutais, d’Emilie Fermat. Celle qui m’intéressait plus, c’était Mathilde, sa petite sœur, qui était aussi en seconde, mais à laquelle j’osais pas parler. Mathilde Fermat, quand elle vous regardait dans les yeux, ça vous donnait des frissons. » (page 24)

« Je tournais autour depuis au moins une heure, guettant le moment où elle sortirait de sa chambre. Elle se servait un verre de lait, tranquille, quand elle m’a dit, presque d’un air distrait : « A propos, j’ai lu ta nouvelle. » Je me suis redressé, digne, prêt à recevoir les éloges du peuple. « Et alors ? » Elle a fini sa gorgée. Ça lui arrachait la gueule de me faire des compliments. Elle a posé son verre sur la table, prenant le temps pour trouver les mots justes. Car les mots, elle savait maintenant que j’étais hyperattentif à ce qu’ils soient justes. « C’est trop nul ! » elle a finalement balancé. « Quoi ? » « C’est ridicule, ton histoire. Enfin, on n’y croit pas. Pas une seconde. Non, franchement c’est à chier. » J’en étais sûr. Elle avait rien compris. Comme d’hab, en somme. C’est dingue comme cette fille était irrémédiablement elle-même. Jamais surprenante. Elle avait même pas compris que l’enjeu principal de cette nouvelle, c’était pas l’histoire, pas du tout, mais le style. Juste le style ! Sauf qu’après ça, elle a tout de suite ajouté : « Et entre nous, t’écris franchement comme une merde. » Ça m’a démoli. (…) Mais pour tout vous dire, et même la vérité, ça m’avait un peu atteint. En tant qu’artiste, je veux dire. (…) Soudain, j’ai eu l’idée du siècle à venir. Et de celui d’après aussi. » (pages 182-183)


A noter…

« Julien Parme » de Florian Zeller
Première publication : Flammarion, 2006
Poche : J’ai lu, 5 janvier 2008
254 pages
5,60 euros

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Florian Zeller sur CultureCie…

« Dix ans, dix auteurs, dix nouvelles », 2008


A lire aussi sur CultureCie…

« Quinze ans » de Philippe Labro

« Vu » de Serge Joncour

« Le Rendez-vous » de Justine Lévy




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13 février 2008 3 13 /02 /février /2008 01:43

Avec « Le Pire des mondes », l’auteur de « Superstars » et « Asphyxie » donne dans le roman existentialiste et sociologique. Pas question ici d’un microcosme, mais bien d’un univers noir… à moins que ce ne soit ce « il » qui ne supporte rien ni personne ? Loin de la drogue et du rock, « il » n’est ni un héros, ni un antihéros : il a tout fait pour réussir, il y est déjà arrivé d’ailleurs, pour son jeune âge, mais une chose est sûre, dans « Le Pire des mondes », on a beau réussir, on ne peut pas s’en sortir. Avec ce portrait de l’enfer d’un jeune cadre sup parisien, Ann Scott confirme tous ses talents de romancière et livre une brillante analyse du monde contemporain dans un thriller à l’humour décapant.


« Le plus usant, c’était d’être en permanence tiraillé entre des sentiments ambivalents »

« Il » n’a pas vraiment eu le genre d’enfance qui lui promettait le meilleur. Mais l’ambition, la rage, la volonté, l’idée du mérite sans doute, l’ont fait « arriver ». Arriver où ? Il n’a pas encore 30 ans, il dessine et vient de signer un contrat de 140 000 euros, tout ça pour des jeux vidéo… le loft, la Porsche, c’est fait. Resterait la femme et les enfants sans doute. Malgré les bons moments passés avec sa meilleure amie Elisabeth, sa vie à lui a bien l’air d’être une pute. Ses enfers ? Les taxis parisiens qui vous arnaquent, les huit heures de queue à la Poste, les connards qui rayent sa caisse, les programmes télévisés merdiques, les jeunes et leur « putain de ta race », les mamans qui regardent le prix d’un article avant de l’acheter, les filles qui se font emmerder dans la rue, les marques qui envahissent le quotidien, l’attitude des connasses du XVIème et des racailles du XIXème. Il voit la vie en noir ? Ou il vit dans le pire des mondes ?

Il a « tout », y compris le vide. Alors le vide le laisse acheter des films sur amazon, tomber amoureux devant un écran, et peu à peu ce symbole du pouvoir, de l’argent ou de la force s’effrite pour laisser place à un môme perdu dans un monde sans repères, un môme accroché à ses acquis et révolté par les injustices. Un môme perdu, une fois qu’il est devenu grand, c’est un névrosé, un mec qui ne supporte pas grand-chose, mais c’est aussi quelqu’un qui vit dans l’imaginaire, au point de friser les attitudes d’un psychopathe... ou d’un idéaliste. Il est né fou ou c’est juste le monde qui est fou, et contagieux ?

Huis clos hexagonal ?

A la manière du narrateur de « Vu » de Serge Joncour, le « il » d’Ann Scott brouille les pistes : s’il a l’air d’être raconté de l’intérieur, le ton tranchant qui oscille entre la haine et l’empathie nous perd. Et nous prend. On le déteste, on le plaint ; on est contre lui, on est avec lui. Grâce à cet « humour paradoxal » (Sandrine Mariette) et pertinent, Ann Scott maintient l’intrigue en même temps qu’elle montre à quel point le monde d’aujourd’hui est dénué de repères. Mais quel monde ? Un monde imaginaire, fantasmé et nourri d’angoisses, un microcosme parisien, une planète aliénée par la technologie ou bien simplement hantée par les bonnes vieilles classes sociales ?

Le pire des mondes… C’est d’abord Paris, car « il » est parisien et, c’est bien connu, « le Parisien, il vaut mieux l’avoir en journal ». Il est un cliché de parisien qui se plaint des manies des quartiers et de l’impossibilité de se garer. Quelques années plus tard Thomas Dutronc le chantera, et « J’aime plus Paris » sera un succès. Un cliché de parisien qui a réussi, un cliché de trentenaire en crise, de bobo blasé, qui a tout sans rien avoir. De toute façon, d’où qu’on se place, à Paris, rien ne va plus.

Tel est le discours ambiant du début des années 2000, sur fond d’angoisses hexagonales : la France tombe (Baverez) et personne ne s’y retrouve, ni celle d’en-haut ni celle d’en bas. Le néant pour tous, c’est une idée de l’égalité… Le pire des mondes, c’est la France de ces années là : c’est le déclin (Rouart) l’acédie, le malheur (Julliard), ça devient connu, on parle même de « déclinologues » à ce moment-là. Au final c’est la violence qui l’emporte, la rage, le raz-le bol, tout le monde se retrouve au moins là-dedans, dans cette incompréhension absolue et cette solitude teintée de ressentiment.

« Il » dit pourtant tout haut ce que pas mal de gens continuent à penser tout bas. Il pointe les absurdités françaises en même temps qu’il nous plonge dans son monde intérieur bloqué. On ne s’attendait pas à lire ces lignes-là chez Ann Scott, vraiment pas… indéniablement, elle réussit à « brouiller les pistes ». Ça fonctionne, ça déroute, car « il » n’est pas une pauvre petite fille riche, « il » a des malheurs de riche mais était prédestiné à la racaille. Avec lui Ann Scott dresse un beau portrait de cette petite France réac, bien loin des seventies et même des années 90, une France qui recule quoi, dans ses rêves et dans ses actes, même dans ses mœurs, et malgré Internet !

Le village pénitentiel d’un anonyme contemporain

Mais « il » a quelque chose de l’universel contemporain : l’anonymat d’un individu. « Il » n’a pas de nom, comme le narrateur de « Que la paix soit avec vous » de Joncour : « il » a pour toute identité ses rêves pathétiques de fan qu’il prend pour de l’amour, son statut social qui se résume à une Porsche… A cet égard « Le Pire des mondes » est une critique acerbe de ce qui nous définit tous au moins un peu : un monde qui tourne à vide dans une technologie qui n’a plus rien du progrès, une technologie communicante qui nous abandonne à la solitude, condamnés que nous sommes à lire des marques jusqu’à nos écrans de télévision. Et la télé, parlons-en de la télé, elle nous angoisse et nous fait rêver, au point de se faire des films parfois, évidemment. Qui sommes-nous, qu’est-ce que le monde fait des anonymes urbains, se demande en filigrane ce thriller malin. Est-ce qu’ « il » est  quelqu’un, est-ce qu’il « est » tout court, n’est-il pas au contraire tout à fait à-côté de la vie, à-côté de la plaque, coincé qu’il est dans un temps et un pays de merde ?

Outre l’injustice généralisée qui n’est peut-être que l’atmosphère française de ce début de millénaire, il y a dans « Le Pire des mondes » une dimension qui se passerait presque d’espace-temps : chaque époque a ses angoisses du temps présent. Il y a un écho à Huxley ou à Orwell, une angoisse actuelle derrière une fiction qui pourrait être un fait divers. Un roman noir, oui. Il faut dire que les héros d’aujourd’hui n’ont plus de grandes chances d’exister : l’action est désormais condamnée, c’est le propre de notre temps ça, non, d’être né dans cet inconvénient, après les révolutions ? Alors il reste la liberté. Celle de croire. De rêver. Croire, non plus en Dieu non, mais croire en soi, croire en un modèle latent, évidemment, la Porsche, les diplômes, la consommation, le travail… Croire que c’est possible. Réussir. Puis vient la liberté de voir. Mais la lucidité n’empêche pas toujours de s’emporter…

De l’espace-temps à l’existence…

« Le Pire des mondes » n’est pas un roman d’anticipation, pas plus qu’un livre poujadiste ! Un roman historique du présent, tissé de fantasmes réels. Nourri de la vie de tous les jours, mais aussi simplement d’humanisme. Il ne s’agit jamais de politique à proprement parler, seulement de social, mais le social… c’est déjà la politique, et déjà l’existence. Si ce roman-là dit bien qu’on n’échappe pas au monde, il dit aussi qu’on n’échappe pas à la vie, à l’étau de soi. Si le « pire des mondes » est un univers dans lequel on ne trouve jamais la paix, alors c’est un monde dans lequel on n’a pas le droit d’être tout court, c’est un univers qui ne laisse pas de place à l’autre. Comme « il » est un éternel étranger, il est toujours cet autre : face aux autres, et face à lui-même, il n’y a pas de place pour lui, d’ailleurs il est aussi mal à l’aise à Belleville que rue de Passy.

Alors le pire des mondes n’a pas de frontières, c’est l’enfer des autres évidemment, il y a un fond très sartrien dans ces vides et ces trop plein, car le pire des mondes, c’est celui de l’existence : on n’est jamais à sa place, toujours en trop. Même quand on a voulu en changer, de place. Surtout quand on a voulu en changer peut-être, surtout quand on y est arrivé, et qu’on reste habité par la sensibilité d’une enfance du rien, une enfance nourrie d’amour et d’eau fraîche. Mais quand on est parvenu à ses buts, on n’a pas grand-chose, si ce n’est des angoisses en plus, celles du maintien des acquis et de la nécessité du luxe – la solitude ! – mais l’amour dans tout ça, l’amour… on l’a oublié. Alors forcément, étouffés qu’on est dans une course à l’asphyxie géante, on a beau essayer de réussir, on ne peut pas s’en sortir.

Il y a des livres comme ça, qui deviennent cultes instantanément. Il suffira de les lire, dans un demi-siècle ou dans un siècle, pour replonger dans les angoisses caractéristiques du Paris des années 2000, dans les impasses françaises et dans les pièges éternels des « raisons » et des « passions ». Mais ce qui en fait un livre d’exception, c’est cette narration fluctuante, ce croisement des angoisses haletantes et des fous-rires, cette distance d’un monde intérieur débordé par ce qui l’entoure. En dépassant ses frontières littéraires habituelles, Ann Scott pousse sa réussite au paroxysme. En plus d’être une romancière de l’amour, une sociologue de la drogue, une philosophe des microcosmes, elle est désormais une bien inquiétante écrivain de l’absurde.


Extraits choisis…

« Plus le temps passait et plus il détestait son quartier. Au début, il avait trouvé ça super vivant, la faune à la fois statique et grouillante entre faubourg du Temple et Belleville. Mais maintenant, (…), la plupart du temps, il se dépêchait quand il avait à sortir dans le coin. (…) Mais le plus usant, c’était d’être en permanence tiraillé entre des sentiments ambivalents. (…) Si à la Poste, ça finissait toujours par l’agacer que l’attente soit toujours d’une bonne demi-heure avec tous les immigrés qui cherchaient leurs mots aux guichets, ça le scandalisait que les employés les traitent comme des moins que rien. (…) Mais plus que tout, ce qui le rendait malade, c’était de se retrouver en train de faire ses courses à-côté d’une mère qui regardait les étiquettes des prix avec angoisse. » (p.48-49)

« Putain qu’il détestait le XVIè. Le quartier tout entier vous pisse à la raie. Suffit de regarder les matériaux des façades, les finitions des halls d’entrée - tout ça pue la supériorité. (…) Les magasins aussi sont écœurants, les vendeuses vous regardent comme de la merde si vous n’avez pas une tête à pouvoir les faire licencier d’un simple coup de fil. Quant aux habitants eux-mêmes, il les comprenait encore moins. (…) Ailleurs, toutes les émotions se côtoient, alors qu’ici il n’y en a qu’une : le mépris. Pourquoi diable viennent-ils tous habiter ensemble s’ils ne veulent pas se mélanger ? » (p.133)

« Il avait plus important à penser. Il fallait qu’il transfère de l’argent d’un compte sur un autre pour combler le trou du deuxième tiers prévisionnel. Il revoyait encore Doc Gynéco disant un jour qu’il refuserait de payer ses impôts. Ça avait fait marrer tout le monde. Mais qu’est-ce qui se passerait si un jour on refusait tous ? (…) Lui redonnait la moitié e ce qu’il gagnait. Comme s’il travaillait les six premiers mois de l’année gratuitement. De quel droit ? » (p.136)

« Et la redevance télé ! Cette bonne blague ! La somme récoltée sert seulement à payer les salaires de ceux qui la collectent. Et on ne peut pas la supprimer, parce que sinon tous ces gens seraient au chômage. Comment peut-on être demeuré au point de laisser perdurer pareille aberration ? » (p.137)


A noter…

« Le Pire des mondes » d’Ann Scott
Première publication : Flammarion, 2004
Poche : J’ai lu, Nouvelle génération, 2005
Préface de Sandrine Mariette
157 pages
4,20 euros

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