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CULTURE & CIE

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CULTURE CIE & VOUS

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9 septembre 2007 7 09 /09 /septembre /2007 04:58

Le photographe Fabrice Malzieu revient de Grèce. Il a accepté de prêter à CultureCie son coup de foudre de l'été: un cliché d'amoureux pris à Sifnos. Il nous raconte son image.


Il m’a fallu trois jours pour trouver Apollonia; elle s’appelle comme la ville où elle est née. Apollonia vend les produits de sa ferme.

La première fois, elle faisait la gueule, j’arrivais tard… mais elle m’a laissé prendre les quelques tomates et les trois aubergines dédaignées par les athéniennes qui m’avaient précédé. Je lui ai soutiré un sac de feta souple comme un nuage, un "kilo" d’huile dans une bouteille en plastique, une poignée de piments arc-en-ciel, des herbes en vrac, des figues… Elle a pesé tout ensemble, avec les tomates, mais pas l’huile, et m’a lancé "Deca Epta": je n’ai pas moufté, j’ai payé en faisant l’appoint… et je suis revenu le lendemain et jusqu’à la fin. Zorba, ma mère, que c’était bon !

Le dernier jour, j’arrivais plein de sel, à l’heure chaude, pour mettre la main, une fois encore, sur trois fois rien. Giorgos, l’époux de la reine, avec qui j’avais déjà copiné m’a fait asseoir: c’est un homme qui sait ralentir le temps…

Elle, habituée maintenant à son client sans horaires, a saisi le seau et clopiné jusqu’au champ sous le cagnard : Giorgos n’a bougé que pour m’entraîner dans la remise d’où l’on a tiré une carafe à boire. Assis de nouveau : "des enfants ? ta femme ? ton métier ?"… j’ai sorti le Rollei* de mon sac et l’on s’est tout de suite compris: l’image inversée dans le dépoli ne l’étonnait pas plus que çà, "kali mera" et oui, le monde est beau là-dedans, le monde est beau en ce moment, et ce vin est un pur délice. D’or clair, il n’a que la fraîcheur de la barrique mais pour lui çà suffit, et la résine fouette gentiment sa rondeur.

Un coup, deux coups sifflés, on a fait une photo, de lui, sérieux comme un pope, et puis il m’a dit : va porter le seau d’Apollonia! J’ai posé le Rollei et j’ai ramené la belle à mon bras droit, le gauche lesté avec de quoi tenir jusqu’à Cythère. Elle s’est assise près de son homme, on a rebu, il s’est penché vers elle, l’enveloppant de son bras gauche, face à moi, pour une autre photo, dans le même axe …

Amants sans honte, devant témoin mais seuls au monde, ils me laissent pendre leur pose amoureuse, et m’oublient. Je me retire avec mes provisions en laissant un billet sur la balance : cette fois on n’a pas compté. Bonne sieste. Adieu. Je pars demain…

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"Tu es ma déesse de toute éternité : sur ta joue d’enfant je caressais déjà notre avenir, et dès le commencement du monde j’ai gardé l’œil sur ton épaule ambrée et guetté sur ta hanche le carrare que dévoilait le vent… par accident ?"...
"De quand date notre premier regard, de quand mon premier chant d’amour ? De quand nos premiers combats à l’issue desquels, défait par ta résolution, j’allai plonger dans l’aigue-marine comme au fond de tes yeux… Retrouver la sagesse et, secrètement, l’aiguillon de broussailles interdites, sur des oursins que je t’offrais à manger pour nous réconcilier ?"...
"Est-ce bien toi, ce soir, dans cette autre vie, dont je sens le souffle sur mes lèvres, que j’entends respirer dans mon cou ? Est-ce de ta tignasse que ma bouche est pleine dans notre étreinte ? Comment savoir dans cette nuit où je crains d’être encore captif de mes démons si tu es là enfin, bien là, envoyée par les dieux pour libérer mon corps de sa prison ?"...
"Mon amour, notre amour a tant d’années et mon plaisir est entier quand je suis les sillons de ton corps comme autant de sentiers de notre île Magnifique : ils en ont les teintes et les odeurs ; les parcourir, c’est être l’eau qui les dévale en jetant au ciel ses "haillons d’argent", ou le vent qui les remonte et dépose sur la résine des fleurs de sel."...

Le Grec, ce n’est pas si facile à comprendre, même en musique, mais on peut inventer… ce que le saoulographe de rencontre, bilingue approximatif n’a su traduire.
Seul sur scène depuis longtemps, le chanteur arrive au bout de son répertoire : il coupe le micro. Dans la nuit américaine, un peu laiteuse maintenant, les couples silencieux quittent la terrasse d’Adonis. Quant à ceux qui m’accompagnaient, ils sont partis depuis longtemps.

La mâche du « pucho » - autrement dit ce qu’il reste d’un bon cigare longtemps après qu’il a roulé dans le caniveau - me tient encore aux lèvres, et j’ai su éviter l’alcool. Dans le jour qui monte sur la ville bleu blanc rose, l’œil encore frais et le désir à fleur, je reconnais cet instant un peu rare, où – qu’on soit seul ou avec un être dont la compagnie va de soi - la vie paraît simple.
Il est temps d’aller nager.
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* Diminutif de Rolleiflex, vieille boîte à photographier, caméra de brocante, tous terrains, de la quincaillerie loin du High Tech, et dont le viseur, placé sur le haut de la chambre, permet de cadrer un portrait sans avoir l’oeil collé au boîtier: c’est un merveilleux dispositif pour garder le contact direct, franc du collier avec qui on shoot.


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