Pour peu que vous accrochiez avec l'écriture fluide de Zweig, et à condition d'être un tout petit peu féru d'histoire, ou (et!) de psycho, vous allez aimer. Evidemment, le destin d'une reine partagée entre l'Autriche et la France, entre l'Ancien Régime et la Révolution, ça peut être intéressant. Marie-Antoinette n'est pas un personnage figé, et c'est cette évidence qui donne à sa biographie un parfum de leçon de l'histoire. Finalement, à moins d'être un peu historien, on connait peu de choses de la petite autrichienne. L'échafaud, certes. Les folies et les orgies si bien filmées par Sofia Copola, certes. Autant dire que la lecture d'une biographie s'impose.
Avec sa plume de romancier, et son sérieux d'historien, c'est le destin exceptionnel d'une femme plutôt banale que nous fait découvrir Zweig. C'est ce qui la rend si attachante. Qu'elle soit si légère et si insouciante, si hautaine et si simple, tout en étant vouée à un destin d'héroïne tragique. Leçon d'histoire à maints égards.
Leçon d'histoire, évidemment, parce que Marie-Antoinette est bien un personnage de son siècle, convaincue qu'elle est d'avoir été élue par Dieu pour représenter un pays dont elle ignore tout. Leçon d'histoire parce qu'on a beau connaître la Révolution, on s'aperçoit, à la lecture de cette vie, que l'école nous a toujours fait vivre la Révolution du même côté. "Qu'elle était prévisible, et comme elle s'inscrit dans la marche de l'Histoire, dans l'identité de la France!" Certes, aujourd'hui, et vu d'ici. Quelle surprise, d'apprendre que ni Louis XVI ni sa femme n'avaient pu l'envisager, tant ils étaient occupés par les chasses et les fêtes.
Leçon d'histoire aussi, car leçon de psychologie, et d'humanité. "C'est dans le malheur que l'on devient ce que l'on est" écrira Marie-Antoinette à sa mère: prise de conscience bien tardive d'une petite fille gâtée, et propos pourtant précurseur d'une science à venir.
On regrette de ne rien apprendre sur l'enfance autrichienne de Marie-Antoinette, ou si peu. Mais c'est le seul reproche que l'on peut faire à ce livre, qui est un peu long mais qui passe trop vite, qui se passe de documents douteux pour étayer son propos, et qui, évidemment, est admirablement écrit. Du voyage vers Paris jusqu'à la prison du Temple en passant par sa passion pour Hans Axel de Fersen, on apprend l'essentiel sur Marie-Antoinette: pas de fioritures, pas d'anecdotes croustillantes, juste une histoire de roman, un personnage de roman, endossé par une figure floue de l'Histoire. Une femme forte et si fragile, si attachante et si détestable, de celles que l'on ne rencontre que dans les productions américaines, et dans l'Histoire.