Le film...
Andy Sachs débarque à New-York, fraîchement diplômée de son école de journalisme, où elle a entassé les félicitations de ses profs et les succès éditoriaux au sein du journal de la fac. Cette intello s'intéresse à peu près à tout, à l'exception de la dernière mode et des grands couturiers. Elle se présente quand même à un entretien d'embauche dans un magazine de mode qu'elle n'a jamais feuilleté. Une pimbêche la dévisage avant de s'esclaffer: Comment? Elle ne sait pas où elle se trouve? Que des millions de filles tueraient pour ce poste? Coup de téléphone. "Miranda arrive", et avec de l'avance. Trop d'avance. Andy assiste, avec surprise et amusement, à la panique d'un bord auquel elle n'appartient pas ou... Pas encore?
Au palais des chimères, la fée carabosse règne sur des nains qui sont loin de chantonner en allant au bureau. Le palais, c'est "Runway", LE magazine de mode qui fait et défait les tendances de la mode internationale depuis qu'il existe. La reine, Miranda Priestey: fondatrice de "Runway", cette femme indomptable est la fée de tous les créateurs, photographes ou mannequins qu'elle a découverts. Mais elle est le mal incarné pour tous les sous-fifres du journal, au premier rang desquels se trouvent ses deux assistantes personnelles et... C'est d'une assistante dont la rédactrice en chef a besoin. La brillante journaliste en herbe va-t-elle tenir le coup?
Miranda est toujours en avance, bouscule tous les emplois du temps, parle à ses employés comme à des chiens, balance son sac et son manteau sur le bureau de sa secrétaire tous les matins. Ses employés travaillent sans cesse dans l'urgence, redoutant en permanence un nouveau caprice de dernière minute, caprices qui font régulièrement perdre un argent fou au groupe de presse dont le magazine dépend. Une main de fer, sans gant de velours. Elle n'est pas exigeante, elle est insupportable. Une éternelle insatisfaite ferait pâle figure à côté de cette patronne tyrannique, aussi célèbre pour son professionnalisme que pour son caractère inhumain. Miranda Priestley se joue de son pouvoir et en abuse, pousse le vice jusqu'à s'amuser à demander l'impossible à ses assistantes tout en les menaçant de les renvoyer si la mission, véritablement impossible, n'est pas accomplie, et dans les délais les plus courts. Mais est-ce que quelque chose pourrait la rendre attachante?
La critique...
Cette comédie légère et rythmée a plus de vertus qu'on aurait pu le croire. Porté par une Merryl Streep froide et ultra-fashion, et grâce à l'excellente actrice de "Brokeback Mountain", le film fonctionne. Les accents tyranniques de l'héroïne sont crédibles et la caricature, loin de tourner au ridicule, vire plutôt au plus vrai que nature. Le monde de la mode y est dépeint avec humour et exactitude, et l'atmosphère de "Runway" n'a aucun mal à traverser l'écran. Les personnages secondaires, caractères bien trempés joués par des acteurs irréprochables, tiennent fort bien leurs rôles et sont tout aussi attachants que les deux héroïnes. Si l'intrigue peut paraître légère, le film a le mérite de poser les bonnes questions, avec subtilité et simplicité. Car après tout, si un diable peut s'habiller en Prada, l'univers glamour des grands couturiers et l'attachement que l'on peut attacher au trendy est-il synonyme de l'enfer?
Ce qui rend Miranda Priestly satanique, c'est son caractère, bien plus que son univers. Et ce qui met Andy en danger, c'est son professionnalisme, doublé d'une certaine naïveté, qui la poussent à entrer dans le jeu du harcèlement moral de sa boss. Mais les deux femmes ne vont-elles pas finir par s'entendre, à certains égards? Parce que Miranda porte en elle un versant incontestablement fascinant, et parce que la brillante Andy a des côtés un peu bêtats, le film ne tourne pas à la caricature ennuyeuse, mais pose très bien sa question: qu'est-ce que vendre son âme au diable? Renoncer à des préjugés? Se laisser harceler? Où se trouve la frontière entre l'évolution d'un individu et le moment où il perd de vue celui qu'il est?
"Le Diable s'habille en Prada" parlera tant aux accros des marques qu'aux anticonformistes convaincus. Les premiers s'esclafferont de tant de références à leur univers, et s'ils portent déjà un regard un tout petit peu critique sur ce que Lolita Pille avait appelé les filles "monogrammées", il fait nul doute qu'ils passeront un bon moment. Quant aux seconds, ils s'identifieront sans difficulté au regard d'Anne Hathaway, qui n'attache évidemment aucune importance à la marque de ses chaussures et qui s'habille dans les grandes surfaces. Le film tendrait presque à renouer le dialogue entre les préjugés des uns et ceux des autres, surtout quand vient le moment de l'excellent monologue de Merryl Streep, où les intellos antipubs les plus militants se retrouvent face à leurs contradictions. Mais le dénouement, que nous ne dévoilerons pas, ouvrira peut-être l'esprit des spectateurs les plus machiavéliens. Car il est toujours d'autres alternatives que des solutions intéressées, et si le monde dans lequel on vit peut nous faire imaginer que le bonheur se cache derrière les dollars, les strass ou les caméras, il peut encore, pour certains, se trouver ailleurs...
Le seul reproche que l'on ferait quand même à ce film fort bien mené est un reproche de cohérence: comment donc une jeune femme aussi brillante qu'Andy peut-elle se rendre à un rendez-vous professionnel sans même avoir feuilleté le journal par lequel elle tente d'être embauchée? Et si elle est si cultivée, on peut s'étonner qu'elle s'intéresse si peu à la photo, car après tout, le travail de Mondino ou de Demarchelier peut être considéré comme de l'art, non? Mais au final, "Le Diable s'habille en Prada" reste une très bonne réflexion cinématographique sur le pouvoir et l'intérêt, le travail et les concessions, mais surtout sur le soi, l'enfer, et les autres.
Réalisé par David Finkel
Mis en scène par Stanley Tucci
D'après le roman de Lauren Weisberger
Sortie DVD: mars 2007
Lien Amazon (édition limitée)
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