LE MONDE | 16.06.07 | 11h49 • Mis à jour le 16.06.07 | 14h43
Un stage rémunéré 300 euros mensuels sous forme de droits d'auteur : c'est le piège dans lequel est tombée une lectrice. Les candidats à l'emploi, auxquels certains employeurs font miroiter une éventuelle embauche, n'osent ni se plaindre ni dénoncer le procédé.
A la recherche d'un premier emploi, une lectrice a trouvé, en surfant sur Internet, une annonce qui lui paraissait intéressante. Il s'agissait de rédiger des informations (notes de lecture, expositions, biographies, critiques de spectacles) sur un grand site culturel. L'idéal pour cette jeune femme qui, après avoir obtenu une licence de philosophie, cherchait à entrer dans la vie active. "Comme je n'étais plus inscrite à l'université, je ne pouvais plus avoir de convention de stage, dit-elle. J'ai pourtant été immédiatement acceptée comme stagiaire, rémunérée 300 euros mensuels... sous forme de droits d'auteurs."
La rémunération, versée tous les trois mois, s'élevait à 875 euros par trimestre, une fois déduites les cotisations à l'Association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs (Agessa). Cela ne donnait à notre lectrice accès ni à la Sécurité sociale, ni au chômage, ni à l'acquisition de points pour la retraite. En effet, seuls les auteurs justifiant d'un revenu annuel minimum de 7 039 euros bénéficient de ces droits. Les autres cotisent mais n'ont aucun avantage, car ils sont censés être auteurs occasionnels.
"J'étais astreinte comme une véritable salariée à une présence hebdomadaire de trente-cinq heures avec un objectif de cent notules à rédiger par mois, précise notre lectrice. Jamais on ne m'a apporté la moindre formation ou aide. Le chef de service se contentait de gérer la boutique au mieux de ses intérêts."
Comme beaucoup d'autres, elle s'est vu offrir une prolongation de stage de trois mois. Elle a accepté parce qu'elle espérait être embauchée à terme. "A la rédaction, qui comptait 30 personnes en avril, nous étions 24 stagiaires, dont seulement deux conventionnés, raconte-t-elle. C'est sans doute pourquoi, lorsqu'elle a été prévenue d'un contrôle de l'Urssaf, la directrice nous a demandé de ne pas venir ce jour-là."
A l'issue de cette deuxième période, elle a encore fourni quelques prestations, rémunérées 10 euros l'article. "Je me suis alors aperçue que je gagnais en une semaine les 300 euros que j'avais tant peiné à obtenir en un mois", conclut-elle.
Selon le directeur de cette entreprise, "les droits d'auteur existent et sont utilisés couramment dans les secteurs des médias et de l'édition". Il a toutefois précisé qu'il n'avait pas le droit de s'exprimer, le site (qui a réalisé en 2006 un chiffre d'affaires de 1,8 million d'euros) venant d'être racheté par un grand groupe de presse, où il intégrera le pôle "nouveaux médias". Interrogé sur ces pratiques, le nouveau propriétaire répond sans plus de précisions : "Nous allons tout faire pour faire passer ce site du stade de start-up talentueuse à celui d'entreprise installée."
Les jeunes en quête d'un premier emploi ne devraient pas accepter de telles conditions, mais alerter l'Urssaf. Cet organisme chargé de vérifier si les heures travaillées ont été déclarées procède à des inspections comptables amiables tous les trois ans dans les grandes entreprises ; le contrôleur prévient alors de sa visite. Mais il effectue aussi des contrôles inopinés. Son service de lutte contre le travail illégal collabore avec l'inspection du travail au sein des comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (Colti).
"L'Urssaf dispose de plusieurs moyens : auditionner les salariés dans ses propres locaux, redresser les cotisations sociales non déclarées, contraindre l'entreprise à verser au salarié les heures dissimulées", explique Emmanuel Dellacherie, responsable du contrôle à la Caisse nationale des Urssaf. Il reconnaît cependant qu'il est difficile de requalifier les droits d'auteur en salaires ; en effet, comment déterminer le nombre d'heures effectuées ?
C'est pourquoi certains employeurs profitent largement d'un système qui réduit la cotisation patronale à 1 %, mais détourne l'esprit et la lettre de la loi ainsi que la morale la plus élémentaire. Le mouvement Génération précaire prépare pour septembre un Livre blanc sur ce sujet.
A noter...
Sites Internet :
www.urssaf.fr
www.generation-precaire.org
Michaëla Bobasch pour Le Monde du 16 juin 2007
Tribute to "Generation Précaire"...
Nous pouvons alimenter votre "Livre Blanc"... !