19 août 2007
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Lettre à Oussama Ben Laden, par une épouse et mère de victimes. Un premier roman à la force indéniable, un discours percutant sur le terrorisme et la paranoïa, et tout simplement un discours acerbe sur notre société.
Madrid, 11 mars 2004. Des bombes explosent dans des trains de banlieues : deux cents morts, et plus de mille quatre cents blessés. Pour la première fois depuis les tours jumelles, Al Quaeda s’attaquait au sol européen. C’est peu de temps après que Chris Cleave, un londonien inconnu de trente-deux ans, s’atèle à l’écriture de son premier roman. Un roman à la tournure surprenante : une lettre ouverte à Oussama Ben Laden, signée d’une jeune maman qui vient de perdre son mari et son fils.
L’auteur a situé l’histoire à Londres, en imaginant un attentat sanglant dans un stade de foot, et la mutation d’une capitale qui sombre dans la paranoïa. A travers la personnalité du narrateur, une jeune femme pas très maligne et plutôt névrosée de la banlieue prolétaire de l’Eastend, on observe l’horreur du terrorisme, et son impact plus subtil sur la société. Il ne s’agit plus de se demander qui a raison ou tort, ou ce qui est impardonnable et ce qui est militant. Il s’agit d’une mère qui a tout perdu en une demie seconde, sans trop comprendre, et qui se demande qui, d’elle ou des autres, sombrera en premier dans la folie.
Le livre devait sortir début juillet 2005. Le jour de son lancement, le 7 juillet, quatre bombes explosaient à Londres. L’Angleterre fait face à l’horreur. Les affiches publicitaires sont arrachées. Les exemplaires retirés des librairies. Il est des situations qui demandent à la littérature de se taire, non pas par censure, mais par décence.
Un livre quelconque n’aurait sans doute pas survécu aux attentats de Londres. C’est la qualité de l’œuvre et la force du propos qui l’a sauvée. En se plaçant sur le terrain de la fiction, l’auteur a pu critiquer sans retenue une société apeurée, sombrant peu à peu dans une paranoïa et un autoritarisme qui fait frémir. Une telle critique, subtile et malheureusement prémonitoire, ferait aujourd’hui réfléchir plus d’un éditeur, d’abord par respect pour les victimes, mais aussi au vu de la bavure de Stockwell.
Un tel thème aurait pu donner un livre pas très agréable à lire. Mais avec beaucoup de fluidité et d’intelligence, Chris Cleave a réussi son pari. « Incendiaire » est rempli d’un humour et d’un rythme qui rappellent Nick Hornby, autre écrivain anglais populaire et contemporain, auquel on doit notamment « High Fidelity » et « About a Boy ». Le style est la bonne surprise de l’ouvrage, qui nous permet de suivre cette lettre jusqu’au bout, malgré ce que nous y découvrons.
Traduit en dix langues et publié dans dix-huit pays, « Incendiaire » a reçu en 2006 le prix Somerset Maugham à Londres, qui récompense le meilleur ouvrage d’un auteur de moins de trente-cinq ans.
Peut-être un des « livres cultes » des dix prochaines années.
A noter…
« Incendiaire » de Chris Cleave
310 pages
6.50 euros
Paru en 2006 en France chez Nil Eds
2007 pour l'édition Livre de Poche
Traduction d’Odile Demange